Selon une disposition de la divine providence, à chaque être est attribué le mode de parvenir à sa fin selon ce qui convient à sa nature; aux hommes est aussi concédé un mode convenable d’obtenir de Dieu ce qu’ils en espèrent selon ce que l’exige la condition humaine. En effet la condition humaine veut que l’on interpose une supplique pour obtenir de quelqu’un, surtout un supérieur, ce que par lui on espère acquérir. Et pour cela la prière est prescrite aux hommes par laquelle ils obtiennent de Dieu ce que par Lui ils espèrent obtenir.
Autrement cependant nécessaire est la prière pour obtenir quelque chose de l’homme, autrement de Dieu. Chez l’homme en effet elle intervient d’abord comme un désir de celui qui demande et pour exprimer une nécessité; ensuite pour fléchir le coeur de celui qu’on supplie pour qu’il concède. Ce qui n’a pas lieu dans la prière adressée à Dieu. Nous ne cherchons pas en effet dans la prière à manifester nos nécessités ou nos désirs à Dieu qui connaît tout. D’où cette parole du psaume : "Seigneur, tu connais mon désir" (37, 10). Et il est dit dans l’Évangile : "Votre Père sait que vous avez besoin de tout cela" (Mt 6, 32). Et aussi la divine volonté n’est pas infléchie par des paroles humaines à vouloir ce qu’elle ne voulait pas d’abord. Car il est écrit : "Dieu n’est pas comme l’homme qui trompe, ni comme un enfant des hommes qui change" (Num 23, 19) "Il n’a rien à regretter pour devoir changer d’avis" (1 Sam 15, 29). Mais la prière est nécessaire à l’homme pour obtenir de Dieu, à cause de celui-là même qui prie, c’est-à-dire pour connaître en soi-même sa pauvreté et pour plier son coeur à désirer fervemment et pieusement ce qu’il désire obtenir en priant; ainsi se rend-il apte à être exaucé.
Autre différence entre la prière faite à Dieu ou faite à l’homme; pour celle-ci en effet il faut auparavant être familiarisé avec cet homme pour pouvoir introduire une demande. Mais la prière qui s’adresse à Dieu nous le rend familier quand notre coeur s’élève vers Dieu et que nous Lui parlons avec amour spirituel, l’adorant en esprit et en vérité, et ainsi rendus familiers par la prière on se crée une ouverture pour prier de nouveau avec plus de confiance. D’où il est écrit : "J’ai crié", c’est-à-dire dans une prière confiante, "car tu m’as exaucé, mon Dieu" (Ps 16, 6), reçu en quelque sorte en sa familiarité par une première prière il crie ensuite avec une plus grande con fiance. Et voilà pourquoi l’assiduité à la prière faite à Dieu, la fréquence même de nos demandes ne l’importunent pas; mais cette prière Dieu l’estime et l’accepte. D'où, en effet, "toujours prier et ne jamais se lasser."